
C'est en triant les affaires de ma
grand-mère il y a quelques années, que j'ai trouvé ce prospectus.
Connaissant l'amour de mon grand-père pour Citroën en général et la DS
en particulier je me suis étonné de voir cette réclame pour un
constructeur concurrent, voire peu estimé dans la famille. Tout d'abord
je suis resté sous le charme de la photo très "Technicolor", j'ai
longuement regardé les automobiles, les trois "dehors" (4L avec déjà la
nervure centrale sur le capot, Dauphine et R8), les deux "dedans"
(Floride et à nouveau R8), les pompes à essence, le merveilleux Galion jaune et rouge, le ciel bleu... Puis l'immeuble à gauche, et j'ai enfin
compris. Les trois dernières fenêtres en haut à droite correspondent à
deux chambres et au salon de l'appartement de mes grands Parents à
Maison-Alfort.

Du
dixième étage la vue plongeait sur ce garage dont une partie du toit
servait d'aire de stationnement pour des autos en attente de quelques
chose. Certaines semblaient figées pour l'éternité et je me disais
qu'elles ne repartiraient plus par "leurs propres moyens". Il s'agissait
en ce début des années quatre-vingt, de 8, 10, 12 peut-être des 6 ou
des 16, de si haut je n'aurais pu m'en rendre vraiment compte. Bien que
cette vue était assez fascinante, elle était aussi frustrante, à
quelques années près, j'aurais pu admirer des Dauphine, Floride, 4cv et
pourquoi pas des Frégate. À cette époque, à mes yeux une "caisse carrée"
n'était pas une voiture ancienne... L'attrait romantique de la
mécanique endormie était donc déjà présent et ne m'a pas quitté, il y a
quelques années j'avais repéré dans la grange d'une maison à vendre, ce
qui m'avait semblé être une Colorale sous une bâche. La machine à
fantasme était en route, et quand mon épouse et moi avons visité la
maison et sa grange, je fus fort déçu de découvrir une simple 203
familiale dont la restauration commencée quelques années plutôt, n'avait
jamais été menée à bien. Elle était juchée sur une remorque basse, elle
aussi cachée par la bâche. L'ensemble dans la pénombre m'avait paru
trop imposant pour une 203. Le charme était rompu, la maison se révéla
tout aussi décevante que l'auto dans sa grange et nous ne firent pas
affaire.
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Cette R8 rutilante est certainement peinte en rouge Montijo (réf. Renault n°. 0789), coloris disponible au nuancier 1963 |
Mais
revenons à ce garage. Situé au 8 avenue du professeur Cadiot, à
Maison-Alfort. Le nom du fondateur Ch. Desabre y est indiqué en aussi
grosse lettres que la marque Renault. L'emplacement est stratégique, car la voie a été percée au milieu des années trente afin de soulager la nationale 6 passant par le centre historique de la ville, et doit son nom au professeur Pierre-Juste Cadiot directeur (entre-autre) de l'école vétérinaire locale. La photo date certainement de 1963, La R8 est sortie en juin de l'année précédente et la réclame va encore bon
train : deux marquages "R8" sur les vitres du bureau ainsi qu'une
grande affiche "Voici la R8" au fond du hall d'exposition sont visibles
en agrandissant le document. En tous cas ce prospectus date d'avant la
fin d'année 1963 car le numéro de téléphone indiqué est ENTrepôt 63-70
(inutile d'appeler à ce numéro il a été attribué en 2009 à un bazar de
Saint Maurice).

Desabre
n'est d'ailleurs pas un inconnu en matière d'automobile à losange, Il
ouvre un première concession Renault dans l'entre deux guerres à
Alfotville au 41 Jules Guesde et est l'homme qui réussit à remplacer
dans les années soixante, la flotte de la biscuiterie l'Alsacienne
constituée de Citroën par des Estafette et de 4L. (1) Il n'est donc pas
étonnant que cet homme plein d'allant ait trouvé des crédits suffisant
pour mettre en place ce nouvel établissement.

Malheureusement, malgré des fouilles curieuses, on ne trouve rien d'autre,
même le prénom de Monsieur Desabre n'est pas trouvable, le temps a passé
et si peu de gens s'intéressent à des choses aussi futiles qu'un simple
garage de banlieue parisienne.
Néanmoins
grâce aux photos aériennes de l'Institut Géographique National, il est
au moins possible de dater avec plus ou moins d'exactitude la
construction de cet établissement. Au début des années cinquante, l'ilot
n'est qu'un grand ensemble de "jardins ouvriers". La civilisation
s'épanouissant, les rêves de modernisme faisant quitter la rue de
Turenne pour le dixième étage d'une tour de la banlieue Est, les petits
potagers cèdent rapidement le pas a un urbanisme sauvage. En 1955 les
travaux de la "tour" et de la "barre" jouxtant le garage sont quasiment
terminés, les habitants vont peut-être pouvoir arriver l'année d'après.
Le garage Desabre quand à lui est peut-être en projet mais rien ne le
laisse supposer sur ce cliché.
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J'avoue avoir triché, je n'avais pas de Dauphine bleu pâle sous la main, et il n'y a pas de Floride bronze chez Norev, en revanche la 4L de 63 est très peu commune
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En milieu d'année 1956 les travaux commencent, le tracé des fondations est visible sur un cliché de mai.
Quatre ans ont passé et en 1960 tout est fonctionnel, la station essence, le garage et son atelier à quatre sheds
(orientés plein Nord comme il se doit), sont terminés par une arrière
cour du côté de la rue Delaporte. Quelques véhicules y sont garés, le
cliché n'offre pas la possibilité de les reconnaître mais on devine au
moins un 1000Kgs qui pourrait être celui de la photo publicitaire... En
1965 deux sheds supplémentaires sont ajoutés à l'atelier et les
1000kgs ont certainement été ferraillés. En 1968 des dizaines
d'automobiles neuves ou d'occasion sont garées sur le côté Ouest du
bâtiment, il va falloir faire quelque chose, les jardins des riverains
ne seront pas tous récupérables. Une nouvelle extension est donc
rapidement mise en chantier, celle ci est un simple cube de stockage à
voiture, complété d'une rampe à vis montant jusqu'au toit terrasse sur
lequel les automobiles parquées seront rapidement les laissées pour
compte de mon enfance.
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En 1955, le Garage n'est pas encore là, les bâtiments d'habitation sont bientôt terminés. Notez à gauche, peu après l'avenue Busteau, l'usine Gondolo (le biscuit qu'il vous faut !) |
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Mai 1956, les nouveaux habitants vont bientôt pouvoir arriver au 14 avenue du professeur Cadiot, ils vont devoir se montrer patient, les travaux du garage ont à peine commencé. de l'autre côté de
l'avenue, les maraîchers du dimanche s'accrochent comme ils peuvent à leur lopin de terre... |
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24 Avril 1960, Eddie Cochran est mort depuis une semaine ce qui n'émeut pas mon grand-père qui a laissé sa DS19 noir AC200 pavillon bleu turquoise AC137 garée à gauche de la tour. On aperçoit le système de balcon terrasse des arrière cuisines, qui ne vaudra que des ennuis à
chaque épisode fortement pluvieux, aux copropriétaires dans les décennies à venir. Dans l'arrière cour du garage Ch. Desabre en revanche, difficile de reconnaître les véhicules garés. |
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Avril 1965, ça fait maintenant longtemps que ma mère a lâché son autobus Dinky toys du dixième étage pour voir la tête qu'il aura une fois en bas, et au passage frimer les garnements avec lesquels elle traîne au grand damne de sa mère. Le Garage lui, s'est agrandit 2 sheds ont été ajoutés. (2) |
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Février 1968, les petites Renault s'amoncellent et envahissent même le jardin d'un pavillon de la rue Delaporte. La DS19 vue huit ans plus tôt, est garée à gauche de la tour, ce n'était donc pas celle de mon grand-père, à cette époque ça fait longtemps qu'il roule en "cinq paliers" ! |
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1971, le garage ressemble peu ou prou à ce qu'il est aujourd'hui encore vu d'en haut, les charrettes, selon les indications de Darius Milhaud, sont sur le toit, elles y attendent peut-être les bœufs... Àmoins qu'il ne s'agisse de deux compositeurs différents. Pas certain que Pierre Dupont fisse parti du groupe des six ! |
1 : Renault Histoire numéro 7 Juin 1995
2 : Rien à voir avec Arthur "2 shades" Jackson
Un article rédigé par Erwan Pirot
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