Un jouet dans la ville : Comment gagner une 4CV Renault

C’est en 1946, au sortir de la dernière guerre mondiale, qu’est instauré le plan Pons, celui ci à pour but de rationaliser l’industrie automobile Française. Sa mise en œuvre est avant tout destinée aux véhicules utilitaires, mais aussi aux voitures particulières, avec pour objectif de motoriser le pays et bien entendu de faire rentrer des devises grâce aux exportations. En ce qui concerne les automobiles dites de tourisme, les cinq grandes marques sont réparties en trois groupes avec les consignes de production suivantes : pour Citroën le haut de gamme, pour Renault et Peugeot la gamme moyenne et enfin pour Simca et Panhard les voitures populaires économiques. Tout ceci sans vraiment s'occuper des prérogatives ni de l'avancée des recherches des constructeurs. Rétrospectivement le bilan du plan Pons est mitigé, il n'aura servi que les grands constructeurs et donnera le coup de grâce à l'industrie du luxe  fragilisé par la guerre, laissant le champ entièrement libre aux américains, britanniques, italiens et au final, allemands. Un comble quand on sait le fort sentiment de rancœur  vis à vis de nos voisins germaniques, qui animait la grande majorité des français à cette époque.
 
Si le sochalien Peugeot, avec sa 203, et le parisien Panhard, avec sa Dyna X, jouent le jeu, les autres constructeurs n’en font qu’à leur tête. Simca après avoir relancé la 8 1200, sort son Aronde en milieu de gamme (en 1951 il est vrai), quand Renault et Citroën, avec respectivement la 4cv et la 2cv, optent pour  les voitures populaires… Quoique Citroën est présent sur d'autres secteurs avec ses 11cv bientôt épaulées par les 15-six.
 
L’histoire de la gestation des ces deux modèles populaires à d’ailleurs des points communs. Elle remonte pour la 2cv à l’avant guerre avec, pour les deux modèles, des études poursuivies sous l’occupation, dans le plus grand secret (Seules les productions d’utilitaires, destinées à l’armée, étaient alors de mise). Chez Renault, c’est le prototype de la nouvelle 11cv Primaquatre qui est privilégié au détriment de la 4cv "de" Fernand Picard., bien que dans les faits ce dernier a le champ relativement libre pour ses études. Puis en 1944, Pierre Lefaucheux, qui vient d’être nommé administrateur provisoire de la Régie Renault nouvellement créée, relance le projet de la petite voiture, qui devient à ce moment une "quatre portes" (les précédentes études étant basées sur un coach).
 
Le modèle définitif de la 4cv est présenté au salon 46, mais sa mise en production ne débutera qu’à partir du mois d’août 1947. Le rythme des sorties va vite s’intensifier et, au début de l’année 50, la 100.000e 4cv fait déjà l’objet, au sein de la Régie, d’une loterie gratuite.
 
C'est peut-être à ce moment là que l'idée germe... Lla 4cv va devenir le gros lots de nombreux concours durant la décennie, à moins que cela vienne d'un journal pour enfants comme nous le verrons plus loin. En avril 1954 c’est le 500.00ème modèle qui sort des chaines et, à cette occasion, la Régie Nationale organise un grand concours auquel tous les mouflets de France sont invités à participer. Il s’agit d’un jeu des erreurs grandeur nature où, à l’aide d’une "photo mystère", les enfants doivent découvrir les différences existantes avec la vraie voiture. A eux d’arpenter les trottoirs, photo à la main, de courir les garages et autres concessions à la recherche des voitures "témoins". Ce grand jeu est une vraie réussite et il totalise quelques 327.000 réponses (officiellement enfantines). Il faut dire que les lots sont très attractifs avec cinq "vraies" 4cv à gagner, suivies de nombreux lots de consolation cela va sans dire.
 
Mais avant ce grand concours, il y avait eu des précédents, notamment celui des biscuits Gondolo, marque aujourd'hui largement oubliée, qui après avoir été rachetée par un groupe américain en 1961, fusionna avec Belin puis s'arrêta définitivement en 1975. Un projet a été lancé en 2015 pour ressusciter la marque mais ne semble pas avoir réellement débouché sur quelque chose de concret. Néanmoins, dans les années cinquante, Gondolo était une des plus grandes marques françaises de biscuits avec un large panel de petits gâteaux.
 
Notez les enjoliveurs en forme de biscuit !
Cette marque offre donc au début des années cinquante une 4cv "6 barres" comme premier prix de leur grand concours. La date exacte n'a pas encore été retrouvée, mais nous sommes très certainement avant 1954. Gondolo n'en était d'ailleurs pas à son coup d'essai puisque l'on pouvait gagner en 1936 une 301 Peugeot "Modèle 1936" appelée "queue de castor" pour les intimes. Quoi qu'il en soit, en cette première moitié des années cinquante, une des deux affichettes connues "clame" que l'automobile peut être gagnée pour les vacances d'été !

Peut-être que le biscuitier avait eu une remise sympathique sur l'achat de la 4cv au regard de la flotte de 1000kgs aux armes de Gondolo, comme nous pouvons le voir sur la photo prise devant l'usine de Maison-Alfort montrant une Goélette dont les enjoliveurs sont en forme de biscuits ! D'un autre côté il est fort probable que la régie Renault offrait des conditions intéressantes aux entreprises désireuses d'acquérir une automobile pour un concours, car elle bénéficiait de ce fait d'une publicité importante à moindre coût. Enfin, la photo est intéressante car il s'agit d'un support particulier, non pas d'une carte postale, mais d'un avis de passage, indiquant à l'épicier le jour et l'horaire de la livraison à venir, sur son verso.

À la fin des années cinquante, les noms Balto, Egyptien et autres Double-Crème cèdent leur place à des prénoms dans le vent tels que Brigitte, Maryline ou Marie-Claire




La 4cv parait presque immense derrière M. & Mme. Leblond
Mazda comme Gondolo a utilisé des utilitaires losangés
En 1953, c'est la marque française Mazda créée en 1921 qui annoncent une 4cv à gagner lors de son grand concours qui réunit des prix pour la somme impressionnante de cinq millions de francs. Néanmoins la 4cv n'en est que le troisième prix, derrière un million de francs en espèce puis une 203 Peugeot. Mazda est par ailleurs la seule firme à indiquer la version de la 4cv offerte, il s'agit d'une "Sport" qui a récemment remplacé les version "luxe" et "grand luxe". On peut aisément se douter que le concours fut un immense succès, Mazda rééditant son concours dès l'automne 1954 en conservant la nature des trois premiers lots, mais gonflant certainement la liste des lots "de consolation" montant cette fois la somme globale à six millions. Si bien peu de documents sont trouvables quant au concours 1953, il n'en va pas de même pour la deuxième édition, des affichettes et surtout un large panel de buvards furent offerts ; sur l'un d'eux, on peut voir Monsieur et Madame Leblond, lauréats du deuxième prix du concours 1953, poser peu à l'aise devant la 4cv qu'ils viennent de remporter.

En revanche il y a très peu à raconter sur les Cafés Fatou. Malheureusement les seuls artéfacts qui nous sont parvenus sont un porte clef et un buvard imprimé à l'occasion d'un grand concours permettant de gagner une 4cv comme premier prix. Toutes traces de cette petite marque de café, comme il y en eu tant dans les années d'après-guerre semblent avoir été totalement effacées de la mémoire collective. Le buvard est graphiquement très réussi et nous replonge dans un univers très colonialiste avec cette image de la jeune femme exotique, un moutard dans le dos, offrant agenouillée du café fumant, qu'on pourrait croire en extrapolant un brin, destiné au généreux civilisé venu mettre un peu d'ordre, de discipline et de véritable religion dans tout ce foutoir sub-saharien. On oscille entre douceur nostalgique et réel malaise. La liste des prix est très intéressante, le deuxième prix est un scooter Vespa et le quatrième une Mobylette quant le troisième lui, est un réfrigérateur. Ceci nous rappelle que la plupart de ces concours ne visaient pas forcément les très jeunes, et que l'électroménager était quasiment toujours signe d'endettement à cette époque. Enfin le cinquième prix est un vélomoteur dont la marque n'est pas précisée. De nos jours où ces fameux vélomoteurs ont quasiment disparus de nos routes, Mobylette en reste pourtant l'antonomase générique.
 
Que dire encore de Tessor, à part que cette vieille entreprise transformée en SARL en 1965 tout en restant basée sur Annemasse, semblait être plus à ranger dans la catégorie des "marques" que des "manufactures" horlogères (ce qui n'est pas signe pour autant de piètre qualité, les bogues étant garanties cinq ans tout de même), assemblant sous le nom de Tessor, des éléments, notamment mécaniques, venus d'ailleurs, souvent de Suisse. Tessor a très tôt fait des réclames et des opérations promotionnelles principalement par le biais des éditions Hachette dont il reste quelques traces. Au milieu des années cinquante, cette entreprise cède à la mode du concours avec une automobile comme premier prix, et va au plus populaire sans trop se poser de question. Le buvard imprimé spécialement pour l'évènement est superbe. Une pimpante 4cv "trois barres" sort de concession dans un environnement rural suggéré par un peuplier et un petit clocher dignes de l'arrière plan d'une case du dessinateur Raymond Macherot, grand spécialiste du clocheton dans les Ardennes belges. Le participant doit indiquer la route (A ou B), la plus courte pour que le concessionnaire se rende livrer la 4cv at home, le texte est parfaitement explicite. Dans la réalité, nul doute qu'un grand nombre de toquantes servirent de lots de consolation ...
 
Toujours dans les années cinquante le célèbre Flan Mireille créés en 1912 à Marseille, et proposant des entremets en sachet à l'instar de la société Francorusse, s'associe avec la marque de chewing gum Bull pour proposer toute une série de jolis buvards richement illustrés, mais surtout pour organiser un grand concours avec comme premier prix ... Je vous laisse deviner ... Mais oui, une Renault 4cv.
 
Point de jolie 4cv sur le buvard publicitaire pour le concours, mais un sémillant "aigle de la route" au sourire ultra Brite passant l'éponge (notez la gestuelle minimisant le délit entre le pouce et l'index), sur l'exaction de la jeune et jolie chauffarde coiffée grâce à Cadonett® (Cadonnet® coiffure qui tient, en souplesse !), au volant d'un cabriolet sport. Une Simca carrossée par Facel-Métallon à n'en pas douter, et non une 4cv qu'elle aurait gagnée à un concours.
 
Retour à la jeunesse avec un des pires cauchemars des enfants (et rapidement de leurs parents mais après tout c'est bien fait pour eux) : Le cahier de vacances, et en particulier celui édité depuis 1933 par Magnard, dont le fondateur, Roger Magnard, créé en même temps et les cahiers de vacances alors à priori inexistants, et sa maison d'édition. Maison qui longtemps après, rachètera les éditions Vuibert avant d'être elle même revendue à Albin-Michel suite à la fin du règne de Louis Magnard, successeur de son père Roger sur le trône des empêcheurs de profiter des derniers rayons du soleil en passant un bon apéro au retour de plage.
En revanche, le buvard imprimé pour les éditions Magnard à l'occasion du grand concours de l'été 1954 est splendide avec un intéressant jeu de mise en abîme entre le cahier de vacances, la 4cv et Babette qui passant le corps par le toit ouvrant, tient elle même un cahier de vacances sur lequel on aperçoit une automobile ... Loulou, le deuxième personnage animant les cahier de vacances Magnard, bien que n'ayant pas l'âge légal, est au volant de la "sport" de 54 magnifiquement exécutée par un très bon dessinateur. Le dessin montrant la voiture avec force détails n'est malheureusement pas signé. En revanche comme souvent, nous n'avons aucune idée de la façon dont il fallait s'y prendre pour gagner le gros lot. Peut-être fallait-il terminer entièrement le fameux cahier de vacances avant la fin de la saison estivale, auquel cas les mouflets ont dû vraiment souffrir cet été là ; à moins que toute la famille s'y soit mise afin de pouvoir passer rapidement à l'apéro d'avoir une bonne chance de gagner la 4cv ! Ce qui nous amène à un point intéressant : Pour ce concours là, il fallait acheter le fichu cahier pour pouvoir participer (50 balles tout de même, le tiers d'une "Micro" 4cv de chez Norev en 1958 !). Ne nous leurrons pas, les autres concours demandaient certainement eux aussi une participation plus ou moins directe.

Terminons sur le thème de la jeunesse avec le Journal de Tintin qui au long des années cinquante et soixante a proposé un grand nombre de jeu concours permettant de gagner une automobile. C'est l'édition belge qui sous la férule de Raymond Leblanc propose dès la fin de l'année 1949 une Renault 4cv comme gros lot. La couverture du numéro 45 du 10 novembre 1949 (en Belgique la numérotation recommençait chaque année), est due aux crayons de l'illustrateur belge Jean-Léon Huens (sous le pseudonyme de Husy), qu'Hergé alors directeur artistique du journal avait certainement dû connaître par l'entremise des éditions Casterman. L'illustration s'inscrit complètement dans l'air du temps, assez empreinte d'un certain conservatisme "hergéen" et même un peu éloigné tant de la Bande dessinée que de la réclame. Un illustrateur n'est que très rarement un bon dessinateur de BD, mais après tout nous sommes encore dans les années quarante, et si l'impact publicitaire n'est pas parfait, l'ensemble a beaucoup de charme.

Nous reviendrons sur les concours du journal Tintin car le sujet est riche. Tintin "belge" à organisé un grand nombre de concours avec des automobiles à la clef, incluant en 1953 une Panhard Dyna X, l'année d'après une IFA 9 (!), puis une pléthore de Fiat jusque dans les années soixante-dix, ponctuée de deux Volkswagen en 1956 (!!) et par une NSU Prinz IV en 1969. La même année Tintin "français" offrait tout de même une Opel GT 1900, mâtin ! (ah non, ça c'est un autre journal)

Supplément au numéro 371
De son côté, Tintin dans son édition française régentée par Georges Dargaud, offre une Vespa Acma en 1954, puis en 1955 toujours une Vespa mais en deuxième prix, la première place étant occupée par une 4cv Renault. La couverture d'Hergé du numéro 371 annonçant le concours est très belle, et même si la 4cv et la Vespa sont certainement de la main de Jacques Martin (auteur des séries Alix et Lefranc entre autres), travaillant alors aux "Studio Hergé" et s'occupant de la chronique automobile voire parfois aviation, pour le journal ; Tintin, Haddock et Tournesol sont bien de la main du Maître qui a insufflé son art inné de la réclame dans cette illustration. Les deux véhicules sont superbement dessinés et l'on sent tout le sérieux apporté par les deux hommes.
Le concours s'étale sur cinq parutions avec chaque semaine un jeu énigme à résoudre jusqu'au dernier numéro de décembre. La longue liste des gagnants est publiée à partir du numéro 385 du 22 mars 1956 jusqu'au 391 du 12 avril de la même année.
L'édition française de Tintin reprendra cette idée de concours les deux années suivantes, s'associant d'abord à Line du même éditeur, pour offrir une Vespa, une Dauphine et une 2cv avec encore une très belle illustration, puis en 1957 avec une des plus belles des couvertures de concours du journal, Tintin lançant littéralement sur la route une Dauphine et une Vespa.

Un article rédigé par Erwan Pirot à partir d'une Idée de Vincent Pirot
 
Merci à Jean-Claude Doisne pour l'indication et le prêt du buvard de "Flan Mireille"
Pour ceux qui veulent continuer, l'article sur le Concours Renault dans l'excellent magazine Losange, en cliquant ICI

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