Un rêve de papier : En voiture avec Zorglub

Enfant j'étais obnubilé par les DS et je pense avoir roulé dans toutes les versions berline* possibles, entre les voitures de mon père et de mes grand-pères. De la Dspécial à la 23 carbu en passant par la 21 Pallas injection, Dsuper, ID20 etc... Mais jamais dans un modèle antérieur à 1968. Mon obsession se tournait alors très rapidement vers les versions "d'avant". Celles qui n'avaient pas les double-optiques ou "phares en amande", mais celles que j'appelais les "phares fusées". À ce stade, le peu d'information à ma disposition et mon jeune âge n'aidant pas, je n'avais pas encore saisi la différence entre les versions "premier nez" de 1955 à 1962 et celles "deuxième nez" produites entre septembre 1962 et septembre 1967. Le premier "avant" était pour moi le plus beau et j'essayais par tous les moyens d'influencer mon père quand l'achat d'une nouvelle série D d'occasion approchait. Hélas la réponse était toujours la même : "Le liquide rouge, c'est pas fiable".

Le support des mes fantasmes était alors les bandes dessinées, grâce à des oncles, mes parents et leurs amis, j'eus bientôt des séries quasiment complète des grands noms de l'école de Marcinelle, j'échappais presque complètement à celle de Bruxelles hormis les albums d'Hergé et surtout ceux de Raymond Macherot sur lesquels j'aurai peut-être l'occasion de revenir plus tard.

Il s'agissait donc de rééditions d'albums de bandes dessinées des années cinquante et soixante, et sans aucune surprise, ce furent bien sûr les histoires de Spirou et Fantsio par André Franquin qui remportèrent absolument tous mes suffrages ; le dessin en était flamboyant et les automobiles abondamment représentées. Dans Z comme Zorglub, une DS roulait sans chauffeur !

Ce diptyque dans la série, souvent considéré comme l'arrivée dans l'ère moderne de Franquin, mérite qu'on s'attarde sur son début. Zorglub, savant mégalomane aux visées despotiques à la limite de l'interplanétaire, enlève Fantasio, après l'avoir hypnotisé grâce à une onde électrique, dans une DS qui roule sans chauffeur. Et c'est là qu'arrive le détail amusant : "Aimez-vous cette voiture ? Zorglub choisit toujours ce qu'il y a de meilleur" entend Fantasio par le biais de la radio embarquée dans l'automobile. Ce qu'il y a de meilleur, certes, mais disponible en Belgique pour un dessinateur talentueux et reconnu, mais pas forcément riche pour autant.
 


Le titre est de Greg, et aussi une bonne partie du scénario qu'on a fait en commun, en collaborant totalement. Je crois que c'est une de ces histoires que j'ai commencées seul et où j'ai fini par appeler Greg au secours. Mais je ne saurais plus te dire à quel moment il est arrivé, ni quelles sont exactement nos idées respectives... Je sais que le début m'appartient, à cause des gants sur le volant de la voiture sans chauffeur. Je m'explique : l'idée de départ est de faire enlever Fantasio de force dans une voiture conduite par personne. On voit seulement une paire de gants posés sur le volant, style "homme invisible", tu vois ?... Et cela vient de mon habitude de poser mes gants ainsi sur le volant quand je quitte ma voiture. Et cette Citroën était d'ailleurs ma propre voiture à l'époque, c'est te dire si j'avais une bonne documentation sous les yeux... (...) Il y a un joli boulot de voitures dans cet épisode. J'en faisais certaines - ici, les DS et Jidéhem en a fait d'autres, ce qui a entraîné une espèce de saine émulation à qui dessinerait les meilleures... (...) (1)
D'autre par il existe une anecdote amusante racontée par Michel Greg le scénariste de ce diptyque. Pour une page de la série Modeste et Pompon, André Franquin et Michel Greg ayant chacun un enfant en bas-âge, avaient cité la marque Phosphatine sans vraiment réaliser qu'il s'agissait d'un nom de marque déposée et non un nom commun. Pour les remercier, la marque Phosphatine leur avait offert un grand carton que les deux artistes s'étaient partagé selon l'âge de leurs enfants respectifs. André Franquin se serait alors écrié :"C'est formidable, je vais donner une Citroën à Zorglub !". Hélas Citroën fut beaucoup moins réactif**, peut-être que Jacques Wolgensinger, responsable de la publicité à l'usine de Javel ne lisait pas Tintin, journal dans lequel paraissait les aventures de Modeste et Pompon, ni Spirou. (2)
 
Revenons aux deux Citroën représentées par Franquin, ce sont en fait des ID "Export". Une astuce des constructeurs automobiles pour éviter certaines taxes et proposer à l'étranger, des modèles officiellement bas de gamme en France, mais avec une "accessoirisation" plus luxueuse que chez nous.

Sur les trois premières cases montrant l'ID Orange, un premier indice est visible, il n'y a pas de répétiteur de clignotant sur le pied milieu, le panneau de custode et le pied milieu sont du même coloris que le pavillon, c'est une spécificité des DS assemblées à l'usine de Forest dans la banlieue de Bruxelles. Mais pour les ID la généralité est plutôt l'adoption des versions striées des DS françaises. Il pourrait s'agir d'une erreur du chromiste ayant mal interprété les indications de l'artiste, ou d'une volonté de ce dernier de ne pas alourdir son dessin.
 
À la dernière case de la page six, un deuxième indice nous est révélé, il n y a qu'une seule buse de lave-glace, il s'agit bien d'une ID. Ceci est conforté par la superbe quatrième case de la page suivante montrant un beau tableau de bord d'ID et les incroyables oreilles de Fantasio.
 
Le levier de vitesse est fondu dans le gris à droite du volant afin, selon un grand principe de Franquin de ne pas détourner l’œil du principal sujet de la case, il est bien évidemment plus visible sur le dessin original non colorisé.

En page huit, on voit bien les catadioptres sur les ailes arrières, ils sont dessinés "ronds" comme sur les ID françaises, or il devraient plutôt être hexagonaux avec même une espèce de "sur-catadioptre" plus petit, incrusté sur le premier... Peut-être que un rond était plus lisible graphiquement, on ne le saura certainement jamais.
 
La publication du récit commence dans le numéro 1096 du 16 avril 1959 du journal de Spirou. Franquin à indiqué dans l'interview déjà citée, s'être servi de son automobile personnelle comme modèle, et a dû commencer la réalisation de l'histoire en février voire tout début mars. De ce fait il est entièrement logique que les deux ID représentées soient pourvues d'ailes arrières dite "courtes". Contrairement à celles montées à partir de l'été 1959 en France dites "longues", elles sont aisément reconnaissables par le fait qu'elles sont exactement alignées sur la bordure de la portière de malle. Néanmoins à Forest, des assemblages de modèles à ailes courtes perdureront jusqu'en 1960, il est fort envisageable que des stocks étaient encore disponibles à l'usine de Forest, ou que celle de Javel ce soit débarrassée discrètement du sien, vers la Belgique à l'arrivée des nouvelles ailes.

Page dix, deuxième case, nous quittons les Citroên pour cet épisode, Franquin, fin observateur, fait arriver Spirou à la Clinique du docteur Gélule en taxi Ariane. Nous retrouverons la Citroën de Zorglub dans le deuxième épisode intitulé L'Ombre du Z, quand celui ci rejoindra nos héros dans sa "belle auto glissant sans heurt sur les affreux pavés de Champignac"

Il reste un semi mystère quant à la couleur de l'ID orange, si la Teinte "Capucine" référence AC-303 est proposée au nuancier français sur les deux premières années d'exploitation de l'ID19 en France, en l'absence de nuanciers par année, l'histoire est plus floue quant aux coloris belges. L'excellent site internet Le Nuancier DS animé par le Docteur Danche cite quatre type de rouges différents, dont le très beau rouge Estérel commun avec la production française; mais ceci ne nous permet pas d'avancer une idée sur ce qu'aurait pu être la robe de l'automobile d'André Franquin. Peut-être était-elle rouge, peut-être pas. 
 
D'autre part, on peut raisonnablement penser que si les dessins de détails ont été exécutés d'après son automobile, ceux de plans plus larges ont possiblement été fait d'après une miniature. Tous les dessinateurs de bandes dessinées de cette époque avaient l'habitude d'acheter des miniatures pour s'en inspirer, les amateurs de Dinky Toys retrouveront certains modèles emblématiques dans SOS Météores d'Edgar P. Jacobs.

Or à cette époque qu'elle était la marque la plus facile à trouver à Bruxelles ? Certainement Dinky Toys dont la filiale française proposait une miniatures orange de la DS.

 
La voiture de Zorglub cumule panneaux de custodes peint en noir donc administration, mais, le pied milieu quant à lui semble être à jonc chromé ce qui est impossible sur la finition sus-citée.

On remarque que les deux automobiles n'ont pas de jonc chromé à la fin des cornets de clignotant, il s'agit donc bien d'ID19 aussi pour la voiture de Zorglub dont on ne voit pas l'intérieur.
 
Enfin on retrouve Zorglub arrivant en DS à Champignac en Cambrousse au début du deuxième tome de ce diptyque, cette fois ci le modèle ressemble parfaitement à une DS19 bien de chez nous, elle est même équipée de phares longue portée optionnels...
 
Un article rédigé par Erwan Pirot
 
Pour ceux qui aiment creuser, je rappelle l'adresse de l'indispensable site internet du Dr. Danche et notamment ce lien qui mène à un article sur les DS/ID belges : https://www.nuancierds.fr/DT%20Belgique%20intro.htm
 
Les dessins sont bien évidemment © André Franquin, Jidéhem, Greg & éditions Dupuis, je ne saurais que conseiller de lire / relire les merveilleux albums que sont Z comme Zorglub et L'ombre du Z !


* Du Break ID aussi, assis dans le coffre sur un strapontin, perpendiculairement à la route... Le Rhovline imprégné d'odeur de Gauloise froide, la tabagie passive, les petites routes de Bretagne, les bonnes odeurs des algues vertes... Mais en fait, enfant, j'ai été malade dans absolument toutes les automobiles quelles qu'en furent le constructeur ; avec les conséquence que l'on sait quand il faut sortir à toute vitesse un mouflet de l'arrière d'une Mini Austin par exemple. Enfin tout ceci pour tordre le cou à la légende qui veut qu'on est malade qu'en DS !

** Et ce, malgré une superbe planche de Gaston dans laquelle ce dernier commande comme petites primes pour des lecteurs de Spirou, quelques douzaines de DS19 chez Citroën... En oubliant le mot "miniature" !

1 : N. Sadoul & A. Franquin - Et franquin créa Lagaffe - Glénat 2022 page 247
2 : Michel Greg - Dialogue sans bulles de Benoit Mouchard - Dargaud 1999 page 25

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